« Le virage entamé par le pays est sans doute le plus important depuis l’indépendance ». C’est ainsi que l’un des seniors de la presse mauritanienne et directeur de publication du journal La Tribune, Mohamed Fall Oumeir, décrit la situation de ce pays d’un million de km² et de 4 millions d’habitants, à l’aune des prochaines élections législatives prévues pour le mois de septembre.
Un scrutin qui fera office de test de popularité pour les réformes entamées par le président Mohamed Ould Abdelaziz, qui s’est engagé à respecter la Constitution du pays en quittant le pouvoir à l’issue de son deuxième mandat présidentiel en 2019.
Depuis sa réélection en 2014, le chef de l’Etat a entamé un vaste chantier de réforme qui a non seulement touché le champ politique de la République islamique, mais aussi son économie, notamment grâce à la découverte d’un considérable gisement de gaz naturel au large des côtes mauritaniennes.
Un champ politique qui fait peau neuve
En août 2017, les Mauritaniens sont appelés aux urnes pour se prononcer sur deux projets de loi modifiant les symboles nationaux (l’hymne national et le drapeau) ainsi que les institutions.
Le texte, adopté par 85,67 % des votants, entraîne ainsi la suppression du Sénat et la création de six conseils régionaux dont les membres seront connus à l’issue des élections législatives, municipales et régionales prévues pour septembre 2018.
Un scrutin pour lequel le parti présidentiel, l’Union pour la république (UPR), compte bien jouer les premiers rôles grâce à une restructuration entamée en janvier 2018. Une réorganisation pilotée par deux jeunes cadres du parti, la ministre de l’Urbanisme Amal Mint Maouloud, 35 ans, et son homologue du Pétrole, Mohamed Abdel Vetah, 41 ans, et qui a d’abord consisté en une campagne de réadhésion des membres de l’UPR.
Celle-ci a permis le ralliement de plus de 1,1 million de Mauritaniens, presque un quart de la population, moyennant une contribution symbolique de 20 ouguiya (près de 50 centimes marocains). Ces nouveaux adhérents seront chargés de désigner, en août prochain, les cadres du parti à l’occasion du deuxième congrès ordinaire de l’UPR.
Un événement à l’issue duquel le prochain président du parti pourrait également être désigné. Le nouveau chef de la formation n’est toutefois pas amené à représenter la formation, que certains de ses cadres décrivent comme le « parti du système », lors des prochaines élections présidentielles.
A Nouakchott, il se murmure que c’est l’actuel chef de l’état-major de l’armée mauritanienne, le très discret général Mohamed Ould Ghazouani, qui pourrait être amené à assumer ce rôle. Artisan du putsch contre Mohamed Ould Taya, celui qui est considéré comme « l’alter ego » de Mohamed Ould Abdelaziz côtoie l’actuel de chef de l’Etat depuis les années 1980, lorsque les deux militaires se sont assis sur les bancs de l’Académie militaire de Meknès. En 2012, lorsqu’Ould Abdelaziz était en convalescence à Paris, c’est Ould Ghazouani qui a officieusement dirigé l’Etat.
Une nouvelle monnaie pour une nouvelle vie
En parallèle à cette restructuration politique, notre voisin du sud a également entamé une véritable réforme de son économie. Symbole de ce changement économique, le lancement à la fin de l’année 2017 de la nouvelle ouguiya, la monnaie nationale.
Une réforme pensée dans les nouveaux bureaux ultramodernes de la Banque centrale mauritanienne (BCM), située à quelques centaines de mètres de la présidence et conçue pour « mettre fin au phénomène d’érosion monétaire dans une économie où les faibles dénominations n’avaient plus de rôle à jouer », selon le gouverneur de la BCM, Abdelaziz Ould Dahi.
Si sa valeur est restée inchangée, la monnaie mauritanienne a néanmoins fait l’objet d’un réétalonnage qui a permis de retirer un zéro sur l’ensemble des billets du pays. Alors que ce genre de réforme est généralement accompagné d’une poussée de l’inflation, ce ne fut pas le cas en Mauritanie, où « l’inflation a été jugulée autour de 3 % », selon le gouverneur de la BCM.
L’introduction de la nouvelle ouguiya a également été accompagnée d’une incitation aux banques pour faciliter l’ouverture de nouveaux comptes dans un pays où la culture du cash est très présente et où « le taux de bancarisation s’établit autour de 15 % », affirme le patron de la banque centrale.
Un taux qui pourrait être amené à évoluer suite à cette réforme économique ayant contraint tout citoyen voulant échanger plus de 500 000 anciens ouguiya (soit 50 000 nouveaux ouguiya, environ 13 000 dirhams) à ouvrir un compte en banque.
Depuis le lancement de ce chantier économique, près de 15 000 nouveaux comptes bancaires sont venus s’ajouter aux 300 000 que compte le pays, affirme le gouverneur de la Banque centrale mauritanienne. L’ouverture de ce marché pourrait profiter aux 17 banques de la Mauritanie, parmi lesquelles la première du pays, la filiale du Marocain Attijariwafa bank, représentée par près de 40 agences.
Gaz à volonté
La BCM ambitionne également de lancer, « dans un futur proche », le paiement électronique et prévoit même la création d’un « marché des valeurs » à Nouakchott.
Un élan réformateur qui s’explique par l’évolution des perspectives économiques du pays. « Auparavant, la Mauritanie était une économie de rente qui s’appuyait sur les deux économies destinées à l’export que sont la pêche et l’exploitation des ressources minières, notamment le fer. Mais aujourd’hui, le pays est à la croisée des chemins et a été installé dans une stabilité macro-économique. Il existe également des perspectives économiques intéressantes », synthétise le gouverneur de la Banque centrale mauritanienne.
Parmi ces perspectives, la découverte du gisement de la Grande Tortue Ahmeyin (GTA) au large des côtes mauritaniennes. Situé à cheval sur les eaux territoriales mauritaniennes et sénégalaises, le champ gazier offshore recèle un potentiel de 1.400 milliards de mètres cubes, un chiffre qui équivaut à sept fois la production annuelle actuelle de l’Afrique et qui en fait la « plus grande découverte gazière au niveau mondial de l’année 2015 », selon le ministre du Pétrole, Mohamed Abdel Vetah.
Les coûts de recherche et de production de ce champ, découvert par l’Américain Kosmos Energy et exploité par le Britannique BP, seront partagés de manière égale par les Etats sénégalais et mauritanien suite à un accord de coopération signé en février 2018.
Dans un premier temps, ce gaz sera transformé en gaz naturel liquéfié à travers des bateaux qui serviront de plateforme de production et pourrait servir à rentabiliser la centrale électrique située à Nouakchott, qui fonctionne actuellement au fuel.
Le champ gazier pourrait même, « si le projet se concrétise », venir se greffer au gazoduc maroco-nigérian, assure Mohamed Abdel Vetah. Pour le ministre du Pétrole, ce méga-gisement, dont l’entrée en production est prévue à l’horizon 2021, pourrait contribuer au PIB mauritanien à hauteur d’un milliard de dollars par an en moyenne durant les 30 années d’exploitation du gisement. Une somme qui ne prend pas en compte les retombées indirectes du gisement, et qui permettrait de doubler le budget de l’Etat et ainsi lui permettre de lancer de nouveaux projets en termes d’électrification.
Accélération électrique
Dans le domaine de l’électrification, la Mauritanie a fait le pari singulier de laisser l’Etat assurer l’investissement dans la production électrique, sans faire appel au secteur privé, en raison notamment du faible nombre d’habitants. Grâce à la « bonne gouvernance de la Somelec (Société mauritanienne d’électricité, ndlr) » et une subvention étatique annuelle qui a parfois atteint 1,1 milliard d’ouguiya (292 millions de dirhams), la société d’Etat est capable d’assurer une production qui lui permet de rembourser les investissements étatiques et de raccorder l’industrie locale au réseau électrique.
« Il y a quelques mois, la première fonderie a été raccordée au réseau électrique. Au vu du besoin énergétique, c’était inimaginable il y a quelques années. Les cimenteries du pays ont également été raccordées. Le prix de l’électricité n’est désormais plus un frein au développement des activités industrielles », assure Mohamed Abdel Vetah, qui suggère également une future privatisation de la production électrique du pays, alors qu’un projet pilote a été lancé à Zouerate au nord du pays.
La Mauritanie, dont la moitié du mix énergétique sera constituée d’énergies renouvelables en 2019, a atteint une telle autonomie en termes de production d’électricité qu’elle peut désormais se permettre d’exporter son énergie vers les pays voisins comme le Sénégal et le Mali, dans le cadre de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal.
« Chaque jour, 50 mégawatts d’électricité sont exportés vers le Mali tandis qu’entre 10 à 15 mégawatts sont envoyés vers le Sénégal », certifie le ministre du Pétrole mauritanien. « L’argent généré par le secteur énergétique permettra de créer un climat où l’investissement sera possible. Il doit servir à développer des infrastructures comme des routes et des ports. Grâce à nos ressources halieutiques (54 % des exportations mauritaniennes proviennent des produits de la mer, ndlr) la capacité de production sera plus grande », poursuit Mohamed Abdel Vetah. « Notre philosophie est de créer des infrastructures pour les générations de demain », synthétise le ministre. Suffisant pour envisager l’après Abdelaziz avec optimisme ? Début de réponse en septembre 2018.